Ensemble pendant les vendanges chez Bruno Martin, vigneron bio

À travers les feuilles de vignes, le soleil inonde les raisins de nuances rouges et mordorées. Ils sont bien charnus. Sur les hauteurs de Gléresse, au bord du lac de Bienne, les derniers jours de l’été inaugurent une période importante pour Bruno Martin, vigneron bio


Des journées de rêve et des journées record en plus. Ces 8 et 9 septembre 2020, le Léon Millot, le Maréchal Foch et le Solaris blanc sont les premiers prêts pou r la vendange. Avec une précocité encore jamais vue. «Il y a 16 ans, nous avions commencé le 15 septembre avec le cépage Maréchal Foch et battu notre record, explique Bruno Martin, et nous avons même repoussé la récolte cette fois.»

Entre les rangs de vigne, nous progressons à travers l’herbe haute. Le vigneron explique: «Depuis 2013, la mouche du cerisier est devenue un problème majeur, nous avons dû régulièrement tout tondre dans les vignes car nous avons constaté que cet hôte asiatique n’appréciait ni la sécheresse, ni la chaleur.» Il regrette de telles mesures qui privent de nourriture les petits organismes vivants utiles et nuisent à la biodiversité. Un autre moyen pour lutter contre ce parasite asiatique est de pulvériser du calcaire, mais cette méthode empêche les raisins de mûrir puisqu’ils réfléchissent la lumière du soleil, indique-t-il. Dans un grand nombre de ses parcelles, la végétation atteint 20 à 30 cm. Ce qui déplaît à certains saisonniers, mais c’est un plus pour la biodiversité.

 

Une faim d’ogre















À partir d’août, les racines des vignes entament leur croissance. Elles forment les bourgeons pour l’année suivante. Les jours précédents la première vendange, Bruno Martin constate, en parcourant ses vignes, que les insectes s’attaquent aux raisins. «Là où ils trouvent une plate-bande, de lavande par exemple, ils se jettent dessus, car ils sont affamés.» Il attribue ce phénomène à la forte sécheresse d’une part et d’autre à l’habitude de tout tondre ou presque dans les jardins privés et les installations communales ou sur le bord des routes vers la fin de l’été. Il serait nécessaire de mieux travailler ensemble dans ce domaine, suggère-t-il. «De nombreux exploitants tondent également en raison des souris et se plaignent d’en avoir trop. Je leur demande pourquoi. Tu n’as pas de serpents, d’oiseaux?» Une fois encore, le pionnier du vin bio rappelle l’importance de veiller à l’interaction entre la faune, la flore et la terre. Tout est lié. Bruno Martin veille à préserver suffisamment de plantes vivaces qui offrent aux insectes habitat et nourriture. Il s’agit de plantes telles que la carotte sauvage qui refleurit après la fauche. Les oiseaux peuvent en outre picorer leurs graines. «Nous avons besoin de cette diversité entre les haies, les surfaces cultivées, les arbres fruitiers, les racines, etc. Les insectes ont besoin de plantes fleuries et pas seulement au printemps. À la fin de l’été, ils trouveront peut-être un peu de sucre grâce aux acariens du saule, mais c’est difficile pour eux.» Il montre un plant de lierre qui refleurit depuis début septembre. «Cette plante est souvent considérée comme une mauvaise herbe, mais elle est très précieuse car elle est la première et la dernière à offrir de la nourriture à nos pollinisateurs.»

 

Mûrir et parvenir à maturité

La floraison des vignes inaugure pour le vigneron un compte à rebours important. Il explique: «Il existe une formule mathématique appliquée depuis des siècles et le réchauffement climatique ne l’a pas encore contredite. Lorsque les vignes sont en pleine floraison, nous notons la date – et 110 jours plus tard, il sera temps de vendanger.» Ses cépages résistants aux champignons – appelés PIWI – mûrissent tôt de manière générale. Ils sont moins fragiles, ont du sucre et du bois brun dès août, ce qui les rend plus résistants contre l’oïdium qui peut apparaître en août. En plus des influences climatiques telles que la sécheresse ou les périodes de pluie persistantes, un mauvais effeuillage, la tempête, la grêle ou la mouche du vinaigre impactent le moment idéal de récolte. Il peut arriver que le vigneron doive commencer plus tôt sa récolte. Mais qu’est-ce que la maturité optimale? Alors que beaucoup de sucre et peu d’acidité étaient importants autrefois, d’autres critères prévalent aujourd’hui. Bruno Martin: «Comme la tendance est aux cépages pétillants, jeunes et pauvres en alcool, on décide aujourd’hui souvent de vendanger quelques jours plus tôt. Il est également important de faire attention aux températures. Pour que les vins arrivent frais à la transformation et ne commencent pas immédiatement à fermenter, le meilleur moment serait entre 4h00 et 10h00 le matin.» Chez lui, les raisins blancs sont cueillis avant midi, puis pressés. Le soir, c’est au tour des rouges. «Nous en avons pour près de 12 heures de travail, car nous renonçons aux enzymes, aux méthodes d’accélération et au refroidissement artificiel. Pour moi, ça ne correspond pas au bio», explique le vigneron


50 tonnes pour la bonne levure

Alors qu’il y a quelques années, les clients, les habitants du village ou des saisonniers intéressés bénévoles participaient à la récolte, Bruno Martin travaille aujourd’hui avec les vendangeurs professionnels de l’agriculteur biologique Stephan Brunner du Seeland bernois. Le côté familial a un peu disparu. À l’époque, c’était comme des vacances quand, enfants, ils pouvaient dormir chez la grand-mère et manger des raisins. «Malgré tout: il s’agit d’une belle période, c’est le temps de la récolte.»

Après la vendange et l’éraflage, les raisins reposent entre 12 et 18 ou parfois même 24 heures en citerne pour sédimentation. Ensuite, le jus clair est retiré et coule dans un contenant plus grand où il est mélangé à un adjuvant de filtrage, le kieselguhr (perlite) et sédimente de manière classique. Bruno Martin: «Nous utilisons environ douze levures différentes. Il s’agit de levures issues des vignes de notre région qui n’ont pas vraiment changé depuis un demi-siècle. À la fin d’une telle fermentation naturelle, la levure la plus vitale s’impose. Il explique: «Ces dernières années, de nombreux vignerons sont passés au vin naturel avec fermentation spontanée qui peut représenter un risque important. Au lieu de miser sur la chance avec 20 tonnes, nous procédons à un essai avec 20 ou 30 kilos afin d’avoir la bonne levure lorsque la récolte arrive.» Pour ses vins plusieurs fois distingués de la médaille d’or, il préfère miser sur une bonne levure vitale. Elle produit des arômes purs, beaucoup d’alcool, mais aucun effet secondaire tel que le soufre «maux de tête» ou des composés à hydrogène pouvant entraîner une altération du goût. 



Oxydation et soufre

Pendant les années de guerre, alors que de nombreux alcooliques souffraient de cirrhose du foie, un vin européen moyen contenait entre 450 et 500 mg/l de soufre combiné. Du soufre était ajouté aux vignes mêmes, le jus ne devant en aucun cas brunir. On ajoutait encore du soufre avant et après la fermentation. Bruno Martin travaille depuis 38 ans sans conservateurs, au plus près de la nature. «Nous récoltons au frais, travaillons aussi proprement que possible et laissons oxyder. Les levures naturelles et de culture que nous utilisons ne présentent pas de risque important.» Les clients lui demandent souvent pourquoi le sulfite est mentionnée sur ses bouteilles. Le spécialiste explique: «Chaque jus de raisin contient du soufre. Le sulfite ne signifie pas qu’on a ajouté du soufre au vin. Ce qu’on ajoute contre l’oxydation et pour que le vin reste stable est de l’acide sulfureux libre. Il protège le vin et n’occasionne aucun mal de tête.» Chaque levure peut former du soufre, ajoute-t-il. Un vin naturel fermenté avec une mauvaise levure peut se lier avec des substances problématiques et plus il y a de soufre combiné dans le vin, plus il est nocif pour notre foie.

Dans le chai de Bruno Martin, les fûts sont remplis jusqu’à la bonde. Et 50 mg de soufre sont ajoutés uniquement au moment de la mise en bouteille. «Il en reste ensuite 35 mg, car nous vendangeons proprement et à froid et utilisons une bonne levure naturelle. Ainsi, rien ne peut se passer», assure le vigneron. Il laisse vieillir ses vins à 12 degrés dans la roche karstique du Jura. Aucune énergie n’est nécessaire pour le refroidissement et les barriques en bois apprécient l’humidité ambiante. La tradition a toute sa place chez un tonnelier de formation. Bruno Martin accorde de l’importance à une transformation soigneuse et économe en énergie jusqu’à la fin: «Le vin bouge encore une seule fois – lors de la mise en bouteille.»



Texte &photos: Sabine Lubow

À suivre…

Bruno Martin, de Gléresse BE, s’investit depuis plus de 25 ans en faveur de la biodiversité – en tant que vigneron, dans son exploitation, et depuis l’automne 2019, comme élu des Verts au Parlement cantonal bernois. Il fait quoi et comment? Nous voulons en savoir plus. Nous avons de nouveau rendu visite à ce pionnier chevronné du vin bio pour l’accompagner dans son élément à différents moments de l’année. Il s’agit du troisième des quatre épisodes prévus. Avez-vous manqué les premiers articles? Cliquez ici pour les consulter.

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