Il sait exactement où trouver dans ses vignes la gesse aphylle, une plante rare, où grimpe le houblon sauvage et où le cercope des prés pond ses œufs. Si vous vous promenez au début de l’été avec le vigneron bio Bruno Martin dans les vignes dominant Gléresse, vous irez de surprise en étonnement et apprendrez à vraiment ouvrir vos yeux.


Les jours sont encore de plus en plus longs. Les pieds de vigne s’alignent les uns à côté des autres, d’un vert intense d’une véritable fraîcheur. La vie est bouillonnante en cette saison sous les filets à mailles fines. Les inflorescences paniculées présentent déjà de minuscules nodules qui se transformeront plus tard en raisin. Sur les coteaux, tout grimpe et pousse rapidement et quasiment sauvagement en direction du soleil. En contrebas, la bise pousse les voiliers sur les eaux bleues du lac. «Du vert et du bleu, toutes ses couleurs intenses de la nature nous font vraiment du bien maintenant, à cette période où tellement de gens doivent rester enfermés chez eux», souligne Bruno Martin.



C’est avec un léger soupir qu’il plonge son regard sur ce panorama à couper le souffle. Au printemps, les travaux dans les vignes ont eu lieu comme d’habitude. Mais les mesures prises pour lutter contre le Covid-19 lui ont interdit de montrer aux groupes intéressés toute la diversité qui se cache dans ses vignes, invisible aux yeux des non-initiés. Cela fait des décennies que Bruno Martin entretient ses vignes avec soin et dans le respect des cycles naturels de la vie.

Des coccinelles et des acariens comme jamais auparavant 

Nous montons un vieil escalier en pierres du Jura et suivons le chemin allant du village jusqu’à l’église. L’emblème de ce village viticole, de style gothique flamboyant, se trouve sur le chemin des Pèlerins entre Gléresse et Douanne. D’après des écrits historiques, ce nom serait dû au fait que ce chemin était emprunté par des pèlerins se rendant d’Alsace et de Rhénanie à Saint-Jacques-de-Compostelle. Bruno Martin pointe le doigt vers du cerfeuil, du caille-lait jaune et de la chélidoine poussant le long de notre sentier. Les abeilles bourdonnent et butinent un peu plus haut dans les églantines. Un lézard, puis un deuxième et un troisième disparaissent sans un bruit dans les fentes d’un mur en pierres sèches.



«Hier, j’ai surpris ici une couleuvre à collier. Elle venait de là-bas, longeait les pierres et s’est cachée dans ce trou.» Nous continuons notre ascension, passons devant des arbustes, des haies, des touffes de lierre et un grand tas de branches. «Nous avons ici de beaux exemplaires de salsifis des prés», explique le vigneron, «leurs fleurs jaunes ne s’ouvrent que le matin et là, vous voyez les tiges porteuses de graines de la plante fanée. N’est-ce pas merveilleux?» De petites araignées-crabes se glissent dans les fentes au-dessus du mur. L’œil les perçoit uniquement lorsqu’elles ont presque déjà disparu. Les magnifiques exemplaires d’orchis bouc dans les bandes d’herbe entre les vignes sont déjà en train de faner. Bruno Martin a toujours un œil sur ses cultures, redresse ici un sarment de vigne, enlève là une branche cassée. «Regardez, deux coccinelles, et encore une... Je n’ai encore jamais vu dans toute ma vie autant d’acariens et de coccinelles que cette année», dit-il. D’après lui, les pollens ont aussi augmenté, tout comme la sécheresse...

Un élément de structure tous les 50 mètres

Le vigneron lève le regard vers la lisière de la forêt du Jura: «Les épicéas étaient déjà d’un rouge flamboyant au printemps avec leurs pommes de pin toutes fraîches, je sais maintenant vraiment pourquoi on les appelle aussi ‹sapins rouges›.» Nous continuons notre promenade le long des vignes délimitées par de petites parcelles de prés extensifs et passons toujours et encore devant des arbustes, des haies, un peu de bois mort et un arbre fruitier isolé à hautes tiges. L’objectif de Bruno Martin est d’offrir au moins un élément de structure de ce genre tous les 50 mètres sur son exploitation.



«Pour préserver les cycles de vie», souligne-t-il. Il s’agit d’une partie des mesures délibérées offrant abri et nourriture aux belettes, oiseaux, chenilles, papillons et insectes. Une véritable leçon d’observation en matière de biodiversité pour la visiteuse. «250 espèces vivent ici et la coccinelle, à elle seule, compte de six à huit espèces», ajoute-t-il avant de toutes les énumérer et de poursuivre: «Et encore, ce n’est que ce que l’on voit. Un nombre incalculable de microorganismes vit dans un sol fructueux, cultivé avec ménagement et sans pesticides chimiques de synthèse.» Un mot sur le sol: Bruno Martin tond en alternance les bandes d’herbe entre les vignes afin qu’il reste toujours de la nourriture pour les sauterelles, les grillons, les coléoptères, les chenilles et les papillons: «Je veux que les herbes et les fleurs fleurissent le plus longtemps possible pour ces auxiliaires et si je dois tondre, je le fais seulement de 8 à 10 cm du sol pour ne pas couper les rosettes de fleurs.» Il enlève à la main l’herbe qui pousse directement autour des pieds de vigne pour qu’ils puissent sécher plus vite, ce qui permet d’éviter l’attaque d’oïdium liée à trop d’humidité.

Le lichen jaune et sa signification

Et que fait ce vigneron bio différemment de ses collègues adeptes du vignoble conventionnel? «Quand arrive la fin mai, ils ont déjà pulvérisé trois à quatre fois leurs vignes avec des pesticides», répond-il. «Vers la mi-mai, je traite mes cultures une seule fois en utilisant du soufre mouillable et de la poudre de roche, de la prêle et de l’extrait de fines herbes. Au début du mois de juin, je pulvérise mes vignes européennes, en fonction de la pression de la maladie, avec du soufre mouillable et j’utilise les quantités de cuivre autorisées dans l’agriculture biologique.» Les cépages résistants aux champignons, les PIWI, n’ont pas besoin d’être traités et constituent aujourd’hui 60 % de ses cultures. Ces espèces peuvent se passer entièrement de pulvérisation, non seulement en raison de leur robustesse, mais aussi grâce au souci apporté depuis des décennies à maintenir un bon équilibre entre les auxiliaires et les parasites.

Cette vigne n'a pas vu de pesticide pour un long temps déjà

Les yeux rivés au sol, nous continuons notre promenade en direction de Douanne. Les anciens pieds de vigne sont couverts de lichen jaune. Bruno Martin en donne l’explication: «Le lichen est le signe que les vignes ne sont pas traitées ici avec du cuivre.» Nous atteignons notre destination. De la gesse aphylle pousse à cet endroit. Nous avons de la chance, ses fleurs sont magnifiques en ce moment. «Il s’agit du seul endroit autour du lac de Bienne où l’on peut encore la trouver», souligne Bruno Martin, visiblement fier, avant de mettre dans sa bouche un petit morceau de cette tendre betterave qui pousse ici dans le sol.

A suivre…
Bruno Martin, de Gléresse BE s’investit beaucoup en faveur de la biodiversité – en tant que vigneron, dans son exploitation, et depuis l’automne 2019, comme élu des Verts au Parlement cantonal bernois. Il fait quoi et comment? Nous voulons en savoir plus. Nous rendrons donc de nouveau visite à ce pionnier chevronné du vin bio et l’accompagnerons dans son élément à différents moments de l’année. Cette contribution est la seconde partie d’une histoire en quatre épisodes sur l’interaction entre l’homme, la faune et la flore qui se déroule sur les coteaux du lac de Bienne depuis plus de 25 ans. Vous avez manqué la première partie? Cliquez ici pour passer à l’interview.

Texte et photos: Sabine Lubow