«Acheter bio? une action sur le long terme». Entretien avec Urs Brändli à propos des 25 ans de Coop Naturaplan


La collaboration avec Bio Suisse a aussi fait le succès de Coop Naturaplan. Rencontre avec Urs Brändli, l’agriculteur bio à la tête de l’association.

Bio Suisse est née en 1981 et Coop Naturaplan arrive sur le marché en 1993. L’agriculture biologique était-elle déjà au centre de vos préoccupations?

En 1993, je venais de passer la maîtrise agricole et m’apprêtais à convertir mon exploitation au bio. Les perspectives de vente du lait bio n’étaient pas mirobolantes, mais les choses ont changé, notamment grâce à Coop. J’ai ainsi pu convaincre mes collègues, qui livraient aussi leur lait à la petite laiterie de Goldingen (SG), de passer au bio. Puis, nous avons produit nos premiers Tilsiter bio en 1995.

L’âge a-t-il une influence sur la volonté de passer au bio?

En partie. Lorsque nous avons repris l’activité en 1985, j’avais 21 ans. Les enjeux inhérents aux pâturages n’étant pas trop élevés, nous avons décidé de nous jeter à l’eau. Les voisins nous ont emboîté le pas, sauf un qui avait presque atteint l’âge de la retraite. Je suis un peu devenu la «bête noire écolo» de la communauté locale. Mais ils ont tous rapidement compris que je m’engageais pour une cause, le bio, sans mettre de bâtons dans les roues des autres. Je me suis toujours efforcé d’encourager les gens à suivre cette voie.

Les autres types d’exploitations sont-elles soumises à de plus grandes exigences?

Et comment! Pour les pâturages, la patience sauvage (Rumex obtusifolius ou patience à feuilles obtuses) est la seule mauvaise herbe qui freine certains à se convertir. Il est pourtant possible d’en venir à bout sans pesticide. Pour les exploitations agricoles, en revanche, pour les cultures maraîchères ou spécifiques, la conversion au bio demande des connaissances supplémentaires, et un peu d’expérience des autres types d’exploitations bio

Est-il plus facile de passer au bio aujourd’hui?

Dans beaucoup de régions, ce n’est plus un problème. Dans les Grisons, où il y a 60% d’agriculteurs bio, les autres sont presque montrés du doigt. En Suisse romande en revanche, la proportion d’exploitations bio est bien plus faible. Quand on est le premier agriculteur du village à vouloir se convertir au bio, on est souvent quelque peu mal vu et il faut d’abord briser la glace.

Qu’est-ce qui motive un agriculteur à se mettre au bio?

Au bout de cinq ans, tous ceux qui ont franchi le pas affirment que c’est la meilleure décision qu’ils aient prise. Ils font d’une pierre deux coups: c’est une véritable valeur ajoutée aux yeux des clients qui privilégient les aliments non traités et les rendements sont, en général, meilleurs.

Ah tiens! Les agriculteurs bio feraient-ils preuve de plus d’inventivité?

Nous vivons encore dans les traces des pionniers du bio. Ceux qui se sont convertis à l’agriculture biologique dans les années 1960–1970 ont dû augmenter leur clientèle d’une vingtaine de familles pour rentabiliser leur activité. À l’époque, les magasins bio se faisaient rares. Ces nouveaux échanges ont créé une nouvelle dynamique, bien différente de celle de l’agriculture conventionnelle, encore régie par les exigences gouvernementales avec des ventes garanties d’avance. De nos jours, certains restent sceptiques et considèrent le bio comme un simple argument de marketing.

Que leur répondez-vous?

Nous communiquons de manière tout à fait honnête et transparente sur le fonctionnement des exploitations bio. C’est le seul moyen de gagner la confiance des consommateurs. Acheter bio, c’est également une action sur le long terme. Depuis que je suis grand-père, je me rends encore plus compte que le sol que nous travaillons est celui que nous léguerons aux générations futures!

Quel impact a Coop sur le mouvement bio?

Se lancer dans l’aventure avec Naturaplan a été un acte courageux, car le succès n’était pas garanti. Coop était un allié de poids, ce qui a semé le doute chez certains agriculteurs bio. Au fil des années, Coop s’est révélée très fiable et les deux parties en ont profité. Aujourd’hui, la Suisse est en tête du classement mondial avec une consommation annuelle de produits bio à hauteur de 300 francs par personne!

Et l’État dans tout ça?

Il existe des primes de reconversion dans quelques cantons. Mais le plus important pour les agriculteurs bio reste un prix stable et juste, ce à quoi Coop a largement contribué.

Un quart de siècle plus tard, votre partenariat est-il toujours aussi passionné ou est-ce devenu une routine?

Une étroite collaboration est forcément assortie de quelques conflits! Coop est plus proche du marché, mais toutes les idées ne sont pas forcément bonnes à mettre en place. Chaque nouveauté est étudiée minutieusement. Économisons-nous de l’énergie ou des matériaux d’emballage? Le procédé de transformation est-il plus doux pour le produit? Il y a parfois des accrocs, mais nous trouvons toujours un compromis.

Le marché du bio n’a cessé de croître ces dernières années. Le bio va-t-il un jour conquérir 100% des étals?

Bon nombre d’expériences menées en agriculture biologique sont reprises en agriculture conventionnelle, telles que l’introduction de la guêpe parasitaire qui chasse naturellement certains nuisibles comme la chrysomèle des racines du maïs. Il est donc très important d’intensifier la recherche en agriculture biologique, comme le fait Coop avec son Fonds pour le développement durable. Et si nos résultats sont repris en agriculture conventionnelle, tant mieux!

Les standards de l’agriculture bio ne sont-ils pas trop élevés pour subvenir aux besoins de toute la population mondiale?

Une étude récente l’affirme: cela serait possible si 60% des terres agricoles mondiales étaient consacrées à l’agriculture biologique et que nous réduisions de moitié nos déchets alimentaires et notre consommation de viande. D’ici là, de nouvelles méthodes de production auront vu le jour, et le «Smart Farming», qui fait appel aux robots, aura abouti à d’importants progrès en matière de développement durable.

Quels sont vos souhaits pour un avenir bio?

En premier lieu, la vérité des coûts! Celui qui achète bio paye plus, donc le montant de TVA qu’il paye sera aussi plus élevé. Comme une partie des impôts sert à réparer les dommages causés à la nature et à l’environnement, ceux-là même provenant de la production non biologique, c’est injuste! Le client bio est donc encore une fois pénalisé. Tant que les prix ne seront pas justes et équitables, accéder à un développement durable sera mission impossible, ou presque.


L'înterview a été publié fin janvier 2018 dans le journal Cooperation

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