En terre d’Appenzell, comparer un biscôme à un pain d’épices est aussi bien vu que demander la recette du mélange d’épices. C’est-à-dire pas du tout. Visite chez Bischofberger.
Des pétrins qui vibrent, des laminoirs qui bourdonnent, un four à tapis roulant qui grond: Une intense animation règne en ce moment dans la boulangerie-pâtisserie spécialisée Bischofberger, au coeur des Rhodes Intérieures de l’Appenzell. Car on est en pleine haute saison, comme en témoigne aussi le fin nuage de farine Bourgeon qui s’est brièvement répandu comme du brouillard dans la halle du laboratoire. À la fin ce n’est cependant ni le bruit ni l’activité ni cette brume de poussière qui trouble les sens. C’est ce parfum envoûtant et corsé de pain d’épices. «Pain d’épices? Nos biscômes ne sont pas des pains d’épices», corrige aussitôt Urs Bischofberger. «D’abord parce que la pâte à biscôme ne contient ni oeufs ni lait. Et ensuite parce que ces biscômes-là, appelés bibers ou biberlis, sont toujours fourrés avec une farce spéciale. Et en plus, histoire de jeter un pont linguistique par-dessus le fossé des röstis, le pain d’épices s’appelle ‹biberfladen› en appenzellois alors que ‹lebkuchen› est un mot typiquement allemand.»
Urs Bischofberger, ingénieur en denrées alimentaires, est le chef pâtissier de la PME du même nom que son frère Reto et lui ont reprise de leurs parents en l’an 2000. C’est donc dans le paisible village de Weissbad, au pied du massif d’Alpstein, que les deux frères produisent maintenant en quatrième génération ce biscuit au miel typiquement appenzellois dont l’histoire remonte jusqu’au 16ème siècle. En qualité conventionnelle ou carrément Bio Bourgeon. La marque «Bärli-Biber» a quant à elle été déposée en 1957 au registre des marques. L’assortiment de cette boulangerie-pâtisserie comprend aussi notamment des «Appenzeller Bireweggli» (pains aux poires), des «Appenzeller Nuss-Stange» (bâtons aux noisettes) et des «Weisser Nuss-Biber» (biscômes blancs fourrés aux noisettes).
Des ours aux sonneurs de cloches
Il y a des Bärli-Biber appenzellois de toutes les formes et de toutes les grandeurs, et même les plus petits sont tous décorés. Il y a les ours, très classiques puisqu’ils ornent jusqu’aux armoiries du Canton, mais aussi des motifs issus de la peinture paysanne comme le vacher, la brodeuse ou encore le sonneur de cloches de vaches. «Il y a d’ailleurs toujours une différence de goût, même petite, si un biberli est rond, carré ou en forme de coeur et s’il pèse 19, 43 ou 75 grammes», dit Urs Bischofberger. Cela tient aux différentes méthodes de préparation et à l’épaisseur de la pâte puisque la proportion de farce et la recette de la pâte sont toujours les mêmes.En ce qui concerne la composition exacte du mélange d’épices de leurs biscômes, les frères Bischofberger restent aussi muets que les fromagers d’Appenzell dans leur publicité. Elle reste secrète. Et c’est d’ailleurs valable pour tous les biscômiers de la région. Chacun a en effet sa propre recette qui lui a été transmise de génération en génération au fil des décennies voire des siècles. La seule chose que les deux frères acceptent de nous révéler est que l’ingrédient principal est la cannelle et qu'«elle vient du Sri Lanka», souffle Reto Bischofberger, qui est responsable des achats et du marketing.
Tous les fournisseurs ne veulent pas du Bourgeon
De nombreux ingrédients importants pour les biscômes Bourgeon viennent de l’étranger. Le miel Bourgeon utilisé pour la pâte est par exemple fourni par un importateur qui le fait venir du Mexique. Reto Bischofberger donne à entendre qu’il est impossible de faire autrement car «le miel Bourgeon suisse est avant tout vendu comme miel de table et il n’en reste presque pas pour l’industrie de transformation». Ce serait même plutôt une chance dans le cas de leurs biscômes, car le miel sud-américain a un goût plus intense. Les Bischofberger commandent aussi leur sucre de canne brut en Amérique Latine. Un autre produit Bourgeon importé? Assurément les de Turquie, qui domine depuis longtemps le marché de la noisette avec une part de 75 pourcents de la production mondiale. En Suisse par contre, cette production spéciale est considérée comme une culture de niche. Déjà rien que parce que les noisetiers préfèrent un climat chaud et sec ou même maritime.La même chose est d’ailleurs valable pour les amandiers, dont la forme sauvage est naturellement présente surtout entre le sud de l’Europe et le sud-est de l’Asie mais dont les cultures commerciales se pratiquent maintenant tout autour du Globe. «Nous commandons les amandes pour notre farce à biscôme en Espagne», explique Reto Bischofberger. En fait aussi partie une petite proportion d’amandes amères qui ne sont actuellement disponibles qu’en qualité Bio UE. «Nos fournisseurs ne sont pas tous intéressés par le passage au Bourgeon. La certification spécifique serait trop chère et trop compliquée pour eux. Bio Suisse nous a donc accordé une dérogation limitée dans le temps.» Un autre ingrédient de qualité Bio UE est un additif alimentaire venant d’Afrique du Nord, la gomme arabique, produite avec la sève de certains acacias. Elle est vaporisée sur les biscômes pour leur donner un léger brillant.
La source d’énergie de Dominique Gisin
«La disponibilité des matières premières bio est de manière générale bien meilleure aujourd’hui qu’il y a vingt ans quand nous avons commencé à produire nos premiers biscômes Bourgeon», affirme Reto Bischofberger. Il y a plus de fournisseurs, plus de quantités – et donc une meilleure sécurité de planification. C’est aussi vrai pour le blé Bourgeon qui est utilisé pour la pâte. Il provient maintenant à cent pourcents de Suisse. «Les caractéristiques du blé peuvent varier», fait remarquer Reto Bischofberger. Il est donc très important de collaborer avec un moulin qui connaît les besoins des Bischofberger et sait exactement quelles caractéristiques «leur» farine doit présenter.Quant aux caractéristiques des biscômes eux-mêmes, les frères Bischofberger vantent leur produit comme source d’énergie rapide qui convient particulièrement bien pour les sportifs. Et pour le prouver ils montrent non sans fierté une photo dédicacée de l’ancienne skieuse suisse Dominique Gisin qui orne leur salle de réunion.
Vu que les sportifs font très attention à leur alimentation, la question de l’acrylamide se pose aussi pour les biscômes. Des analyses effectuées en 2016 en Bavière ont justement montré que cette molécule «probablement cancérogène» peut se retrouver au moins dans les pains d’épices classiques. Elle est produite par la cuisson à haute température des denrées alimentaires riches en hydrates de carbone, dont notamment les produits de boulangerie. Le chef biscômier Urs Bischofberger hoche négativement la tête: «Nous avons fait analyser nos biscômes dès 2002 pour en avoir le coeur net. Avec pour résultat que l’acrylamide n’est pas un problème chez nous.» Et de redisparaître dans la halle de production. Ce qui reste est l’omniprésent parfum de pain d’ép… pardon, de biscômes Bourgeon tout frais sortis du four.
www.baerli-biber.ch (en allemand)
Texte et photos: René Schulte, Bio Suisse/Bioaktuell
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