Au service du Lapin de Pâques
jeudi 9 avril 2020
Les tapis roulants d’Eico produisent pas moins de 50 000 oeufs de Pâques à l’heure. Mais il y a teintures et teintures. Pour les oeufs bio, elles doivent être à base de substances naturelles.
Le Lapin de Pâque vit à Berne. Mais presque personne ne le sait parce qu’il se cache bien. Ses activités multicolores se passent derrière la façade grise d’un bâtiment industriel banlieusard qui ne paie pas de mine. Quand on est devant, on n’aurait jamais idée que ses tapis roulants déversent à l’heure jusqu’à 50 000 oeufs de Pâques de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
Assez pour satisfaire l’appétit des habitantes et habitants de notre pays pour ce produit traditionnel du renouveau printanier. Et cet appétit est grand – et même gargantuesque, comme le sait bien Hannes Messer, le directeur de la société Eico, le leader du marché suisse de l’oeuf dur teint – et donc pour ainsi dire la main droite du Lapin de Pâques. «Sur les millions d’oeufs que nous cuisons et teignons chaque année, presque la moitié sortent de chez nous sur les dix semaines qui précèdent Pâques», dit-il pour planter le décor. Et 10 à 15 pourcents d’entre eux sont des oeufs Bourgeon.
Un pique-nique avec Hello Kitty
Cela fait bien depuis le début des années 1990 que ces ovaloïdes multicolores ne sont plus un produit typiquement de saison. «Selon les canaux d’écoulement, ils représentent en Suisse une bonne quinzaine de pourcents des ventes annuelles d’oeufs», dit Hannes Messer. Un record mondial. Le marché de l’oeuf dur teint, si prisé pour les pique-niques et les salades, a fortement marqué le développement de cette entreprise qui appartient au groupe Fenaco. Notamment grâce aux produits dits in-out, c.-à-d. ceux qu’on ne trouve que peu de temps sur les rayons des magasins. Par exemple l’oeuf rouge à croix suisse pour le 1er août. «Nous avons déjà eu à l’assortiment des oeufs pour l’Eurofoot et même des Hello Kitty!», raconte Hannes Messer avec amusement.
La plupart des oeufs transformés par Eico proviennent d’une centaine de fermes avicoles de toute la Suisse. Ils sont collectés et amenés à Berne une fois par semaine. Un deuxième site de production, mais sans teinturerie, se trouve à Märstetten TH. L’affaire comprend aussi des activités d’importation (seulement pour des oeufs non bio) ainsi que de la transformation d’oeufs pour d’autres entreprises commerciales suisses. «Nous nous considérons comme l’interface entre les producteurs et le commerce de détail, mais aussi comme une plateforme générale pour le commerce», ajoute Hannes Messer. Les clients d’Eico sont Migros, Coop, Denner et Volg, mais aussi des distributeurs internes qui fournissent la restauration ou même directement les consommateurs.
Eico dispose à Berne de quatre installations de cuisson et de coloriage. L’une d’elle, la plus grande du genre en Suisse, a été mise en service l’année passée. Tout est nettoyé à fond chaque soir afin que les oeufs bio puissent passer en premier le lendemain matin. «Cela nous permet d’éviter les contaminations croisées», explique le directeur d’Eico. Il y a deux types de processus de cuisson parce que toutes les installations ne viennent pas du même fabricant. Les oeufs sont ainsi cuits à un peu plus de 90 degrés soit dans de l’eau soit à la vapeur. «Juste assez longtemps pour que le jaune soit encore légèrement humide», complète Hannes Messer. Mais en aucun cas liquide. Orange d’annatto et carmin de cochenille. Il y a aussi deux variantes pour la teinture des oeufs. Premièrement l’aspersion qui donne des coquilles au laquage régulier et qui est actuellement utilisée surtout dans le secteur conventionnel, et deuxièmement le roulage, procédé où les oeufs roulent sur des éponges rotatives imbibées de teinture qui produisent des motifs du genre batik. «Cela convient un peu mieux pour le bio parce que ça donne un air plus ‹organique›», mais Hannes Messer n’exclut pas que des oeufs bio soient de temps en temps teintés par aspersion.
Les couleurs elles-mêmes doivent être d’origine naturelle. Eico les commande en Allemagne sous forme de mélanges prêts à l’emploi. Le Cahier des charges de Bio Suisse autorise entre autres les jus de fruits et de légumes, les épices, les bois et autres parties de plantes ainsi que les colorants qu’on trouve naturellement dans les aliments et qui sont extraits par des procédés purement physiques. Eico utilise par exemple pour l’orange et le jaune de l’annatto, un colorant extrait des graines de rocou. Les chlorophyllines, donc le vert feuille des plantes et des algues, fournit le vert et le bleu. Un autre bleu est extrait de certaines anthocyanes qui donnent leur couleur par exemple aux fleurs de bleuets ou aux mûres. Le rouge est basé sur un carmin extrait d’une cochenille. «Le seul désavantage des teintures bio est qu’elles ne résistent pas à la lumière et pâlissent donc plus vite que les pigments artificiels», explique encore Hannes Messer.
Il faut un support ou un enduit adéquat pour que la couleur adhère à la coquille de l’oeuf. On utilise un mélange de shellac et d’éthanol. Le shellac, ou gomme-laque, qui est extrait des sécrétions résineuses de la cochenille Kerria lacca, a deux propriétés positives principales: Il rend les couleurs un peu plus brillantes et il obture les pores des coquilles d’oeufs, ce qui augmente la protection contre la pénétration des germes. «Mais il faut que la consistance du mélange joue», dit notre interlocuteur. Si la mixture colorée est trop liquide, elle traverse la coquille et colore le blanc d’oeuf. Un autre facteur important est le choix des oeufs: Pour cuire et teindre les oeufs durs, on utilise surtout des oeufs de petit à moyen calibre pondus par des jeunes poules, car ils ont une coquille plus épaisse et plus robuste que les oeufs normalement plus gros et plus fragiles des pondeuses plus âgées.
Ils ne sont toutefois pas «incassables», et tous les oeufs sont préchauffés à 60 degrés avant la cuisson proprement dite afin d’éviter que les coquilles se brisent ou se fendent. Et si cela arrive ça ne passe pas inaperçu: Il y a tout le long de la ligne de production des collaboratrices et des collaborateurs à l’oeil exercé et à la main agile qui enlèvent tout de suite les oeufs endommagés. Ou qui remettent sur les rouleaux encreurs les oeufs qui ne sont pas complètement teints.
PET ou carton, telle est la question
En ce qui concerne l’emballage des oeufs de Pâques Bourgeon, Eico se trouve justement devant un changement. «Nos boîtes standard actuelles sont en PET, mais les emballages en plastique ne sont plus guère dans l’air du temps pour les produits bio», sourit Hannes Messer. Cela est surtout dû aux attentes des consommateurs. Il ne veut personnellement pas diaboliser le plastique «ab ovo». Il est par exemple plus léger que le carton, ce qui est positif du point de vue du transport. «Et en plus beaucoup de gens ne savent pas que l’emballage d’un tel produit ne représente que trois ou quatre pourcents de l’empreinte écologique totale.»
Cela n’a pas empêché Eico de commencer à tester deux nouvelles variantes d’emballage, l’une étant un hybride composé d’une barquette en carton munie d’un couvercle en PET qui permet d’économiser quelque 40 pourcents de plastique, et l’autre étant une boîte à oeufs classique en carton perforée de trous pour voir les oeufs durs teints et les identifier comme tels. Il reste donc encore à voir ce qui passe le mieux auprès des consommateurs – ou du Lapin de Pâques.
René Schulte
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